OBSERVATIONS FINALES (CONSEILS PRATIQUES POUR LES MAGICIENS)

 

 

Sources Extrait du livre : « LES MERVEILLES DE LA PRESTIDIGITATION » de George G. KAPLAN  ( Avec 306 illustrations par Francis J. Rigney. Traduction et préface de Maurice Sardina.). Payot – Paris. 1971.

La magie est un art magnifique. Comme pour les autres arts d'imagination, tels que la musique, la peinture, l'art dramatique, la seule adresse technique n'est pas le but de l'artiste. Ce n'est qu'un moyen. Dans leurs domaines respectifs, le peintre, le compositeur et l'écrivain conçoivent des thèmes qu'ils nous communiquent par l'intermédiaire de leurs moyens d'expression particuliers, ils n'emploient l'adresse technique que comme un moyen de les présenter. Mais le sujet est la chose primordiale.

Par exemple, le peintre choisit un sujet qu'il présente sur une toile grâce à une composition adroite et un judicieux emploi des couleurs. Sa maitrise technique est utilisée pour fournir un tableau complet qui sera le reflet de tous ses dons.

On peut établir un parallèle entre cela et la magie. La perfection technique est seulement un moyen et non un but. Il est nécessaire, c'est évident, de bien exécuter chaque tour. Mais c'est la combinaison adroite d'un certain nombre de tours en un programme harmonieux et mystérieux qui donne au magicien le sceau d'un véritable artiste. Tous les bons magiciens que j'ai connus ont considéré la préparation de bonnes routines et de bons programmes comme l'un des plus sûrs moyens d'impressionner et de divertir un auditoire. J'ai connu aussi des magiciens pouvant exécuter avec compétence des tours isolés, mais incapables d'intéresser un groupe de spectateurs ou un auditoire parce qu'ils ne savaient pas combiner leurs tours en un programme frappant.

Par contre j'ai vu des magiciens moins adroits réussir à divertir les spectateurs parce que les tours qu'ils présentaient étaient bien combinés.

Commençons par le début. Supposons, ami lecteur, que vous ayez acquis les connaissances des principes et des manipulations de base, de telle sorte que vous êtes à même, par exemple, de manipuler adroitement un jeu de cartes, d'exécuter des passes avec des pièces ou autres petits objets, sans tâtonnements ni hésitations, et que vous vous êtes familiarisé avec quelques-uns des tours les plus simples, il vous faut maintenant choisir un tour dont l'effet vous plaît particulièrement. Etudiez son déroulement, assurez-vous que celui-ci est naturel et harmonieux, et que la chute du tour est suffisamment surprenante. En d'autres termes, assurez-vous que ce tour vaut la peine de s'y intéresser, que non seulement il vous donnera la satisfaction de l'exécuter, mais surtout qu'il étonnera et divertira ceux devant qui vous le présenterez.

Essayez ensuite les différentes passes ou manipulations imposées par la technique du tour. S'il s'en trouve pour lesquelles vous ne vous sentiez pas à l'aise et que vous ne puissiez exécuter avec aisance et assurance, appliquez-vous à les travailler avant d'étudier le tour lui-même. Rappelez-vous que l'art de la manipulation est chose élastique. Il existe bien des manières pour obtenir un certain effet, et ce n'est pas parce qu'Untel utilise une passe déterminée que vous devez obligatoirement employer la même méthode. Recherchez celle qui vous convient le mieux, celle que vous pourrez exécuter avec assurance, et quand vous l'aurez trouvée, tenez-vous-y. Ne changez jamais les passes ou manipulations que vous avez adoptées pour un tour, à moins d'avoir une excellente raison pour cela ; souvenez-vous que la seule bonne raison de changer est la recherche d'une méthode plus simple, plus directe. Lorsque quelqu'un vous dit : « J'emploie diverses façons pour exécuter ce tour, » vous pouvez être à peu près certain qu'il n'exécute aucun tour proprement.

Voyez le cas d'un acteur ou d'un musicien. Chaque rôle ou chaque morceau est étudié jusqu'à ce que leur valeur exacte ait été donnée à tous les mots, tous les gestes, toutes les notes ; alors cette valeur établie est maintenue en permanence. C'est la seule façon d'approcher de la perfection ; on n'y atteint jamais, mais il faut toujours y viser.

Après avoir mis au point la partie technique, il vous faut étudier la présentation complète du tour, afin de lui communiquer de la vie. Imaginez un motif plausible, une justification pour l'effet que vous désirez présenter et préparez chacune des phrases que vous prononcerez, chacun des gestes que vous ferez, à fin de communiquer cette impression à votre auditoire. Par exemple, si vous présentez une expérience relevant de la transmission de pensée, exécutez là comme si vous étiez un lecteur de pensée.

Persuadez-vous, à cette occasion, que vos prétendus miracles sont réels. Jouez le rôle du personnage que vous avez choisi et, tout en montrant pour vos spectateurs la plus franche bonne humeur, efforcez-vous de garder une certaine dignité qui imposera leur attention. Laissez à vos spectateurs l'impression qu'après tout il y a peut-être quelque chose dans le pouvoir que vous revendiquez. Cette impression naîtra inévitablement si vos mystères sont présentés d'une façon telle qu'ils ne laissent place à aucune explication rationnelle ou logique.

Il se trouve malheureusement des magiciens pour prétendre que les profanes d'aujourd'hui sont trop sceptiques, trop avertis pour accepter ce genre de présentation et, en conséquence, ils présentent leurs tours comme de simples amusements. Tout artiste compétent et expérimenté sait que cela constitue une grave erreur. Les gens de notre époque sont aussi avides que jamais de croire à quelque mystérieuse puissance du magicien, particulièrement pour le « mentalisme », à la condition évidente que cette magie soit présentée comme de la magie et d'une façon convaincante .

Ayant à votre disposition un répertoire de tours bien en mains, bien étudiés, exercez-vous à penser à des tours groupés plutôt qu'à des tours pris individuellement. Examinez attentivement leur combinaison possible pour voir s'ils s'accordent et s'unissent. Etudiez leur présentation afin que chaque tour soit plus étonnant que le précédent ou serve de préparation pour amener le suivant, et terminez par un tour ayant une « chute » stupéfiante. Par répertoire, je n'entends pas un grand nombre de tours. Il peut, à un certain moment, n'en comprendre que quatre ou cinq seulement, auxquels d'autres pourront s'ajouter de temps en temps. On peut assurer qu'un répertoire d'une douzaine de tours réellement de première classe et que vous serez capable de présenter parfaitement à tout moment, vous durera la vie entière. Par contre, la prestidigitation lamentablement présentée est peut-être la forme de spectacle la plus ennuyeuse qui soit. Aucun spectateur ne désire assister une seconde fois à un tel spectacle, tandis qu'un mystère déconcertant, présenté par un artiste compétent, sera revu avec plaisir, encore et encore.

Lorsque vous aurez ainsi un certain stock de tours, il est très important de disposer d'un système vous permettant de les retrouver lorsque l'occasion se présente. Un vieil adage dit que le savoir se compose de deux choses : la connaissance de quelque chose et la possibilité de la retrouver. Lorsqu'un magicien a une connaissance approfondie de son art il emmagasine un nombre énorme de tours, passes, manipulations, renseignements, dont quelques-uns lui reviennent en mémoire par association d'idées, mais dont beaucoup sont oubliés avec le temps. J'ai toujours pensé qu'un magicien connaissant vingt-cinq bons tours mais ne pouvant se souvenir que de quatre ou cinq, n'est pas mieux placé, d u point de vue du public, qu'un confrère ne connaissant seulement que quatre ou cinq bons tours et capable de s'en souvenir lorsqu'il en a besoin. L'expression française : « l'esprit de l'escalier, » s'applique aux choses merveilleuses qui reviennent à l'esprit lorsqu'on revient à la maison ! Mes relations avec des magiciens expérimentés m'ont convaincu que l'un des plus importants points faibles de beaucoup de confrères soi-disant bien lancés est que, lorsqu'ils sont soudainement demandés pour un spectacle, ils ne peuvent se remettre à l'esprit que seulement quelques bons tours ; leurs tours commencent à se relâcher et, progressivement, deviennent moins intéressants. C'est une très grosse faute de présentation . Le public vous juge sur ce qu'il voit et non sur ce que vous savez.

Je me suis rendu compte de cette « paille » il y a déjà longtemps et j'ai imaginé une méthode de classement de mes tours afin de les retrouver immédiatement lorsque j'en ai besoin. La voici : J'utilise des fiches mesurant 75 X 125 millimètres classées en sujets principaux, tels que cartes, pièces, foulards, mentalisme, boules de billard, etc., avec un sous-classement de détail dans chacun des sujets. J'inscris sur la fiche le titre du tour, un résumé de l'effet et de la méthode employée. Si une description complète a été publiée dans un livre ou une revue, j'inscris le titre du livre et le n° de la page. Chaque fiche est numérotée dans le coin supérieur droit pour faciliter les recherches (fig. 315).

En complément de ces fiches, j'utilise un répertoire à index que je considère indispensable et sans prix. Il se compose d'un registre quadrillé avec index de marge réalisé en découpant les feuilles sur leur côté droit ; ce répertoire correspond aux indications de mes fiches. Je commence par la section des cartes en réunissant trois ou quatre feuilles dont je découpe une bande à la partie supérieure, sur 50 millimètres de haut. Ces premières feuilles sont suivies d'une feuille entière dont le haut porte les indications données à la fig. 316. Elles fournissent les caractéristiques des tours. D'autres feuilles dont la marge est découpée moins haut portent les autres rubriques. C'est un classement des tours par sujet : Cartes, Mentalisme, Pièces, Foulards, etc. selon les besoins.

Chaque tour est indiqué sur la partie gauche de la page par son titre, celui-ci est suivi du N° de référence ; enfin une croix tracée dans les colonnes convenables précise le type du tour. Ainsi un tour enregistré sous le titre : Les quatre As serait muni de croix dans les colonnes : Impromptu, Comédie, Arrangement. Un autre tour : Le Sérum de la Vérité comporterait des croix dans les colonnes : Estrade, Comédie, et bis. C'est ainsi que je puis trouver instantanément les tours de la catégorie que je désire exécuter dans une circonstance donnée ; je puis donc faire un choix avec l'assurance que je n'en oublie aucun — ce qui advient si souvent lorsqu'on se fie à sa seule mémoire. Alors si je le juge nécessaire, je me reporte à mes fiches et j'y trouve les points essentiels, l'indication du matériel nécessaire, etc.

Outre ce répertoire principal, j'ai un petit carnet à index où sont inscrits mes tours « impromptus ». Je m'y reporte avant de partir en quelque endroit où je pense qu'il me sera demandé de présenter quelque chose. J'y fais un choix d'une demi-douzaine de tours à mon goût. De cette manière, si je suis prié de faire quelque chose, je n'ai pas d'hésitation à passer d'un tour à un autre. Je sais par avance ce que j'aurais à faire et puis combiner mes effets pour en tirer le maximum.

Enfin, une dernière chose m'est d'un grand secours. Je garde trace, sur de petites fiches, de divers programmes complets, tant de scène qu'impromptus ; je m'y réfère toujours en l'attente d'une séance. Certaines fiches ne comprennent que des tours impromptus, d'autres m'indiquent les accessoires truqués nécessaires du programme. Pour ce qui concerne la scène, le programme est indiqué d'une façon un peu plus détaillée, avec une liste complète du matériel nécessaire à mon spectacle.

La préparation de ces répertoires est, au départ, une tâche assez lourde, mais, une fois établie, il est très simple et très rapide d'y ajouter ou d'y retrancher. Cependant, je dois souligner qu'il n'est pas recommandable de répertorier ainsi tout ce que vous connaissez ou pensez que vous pourriez aimer faire. L'expérience m'a montré que cette excessive façon de faire engorge le répertoire et lui enlève de sa valeur. Utilisez le répertoire et les fiches pour des tours essayés et « rodés », seulement pour ceux que vous exécutez effectivement, que vous aimez et que vous exécutez bien. Si vous le croyez bon, répertoriez les autres tours à part pour les retrouver à temps perdu et lorsque vous désirez rafraîchir vos possibilités par quelque nouveau tour. Le but du registre-répertoire est de vous placer de suite sous les yeux les tours que vous exécutez d'habitude, mais que vous oubliez quelquefois.

Il est étonnant de constater combien le temps et les efforts dépensés à établir ces fiches et ces répertoires contribuera à vous bâtir une réputation de magicien agréable et intéressant.

Voici quelques exemples de programmes que j'ai établis pour diverses occasions. Au cours de la dernière guerre je présentais mon numéro dans des cantines et des hôpitaux militaires. Sachant que les soldats, de même que les hôtesses et les infirmières, sont toujours friands de spectacles gais, je m'efforçais d'introduire des tours humoristiques dans mes programmes, sans perdre de vue toutefois, que mon rôle était de présenter du mystère. Le groupe de tours suivant s'est révélé un programme très populaire. J'entrais en scène avec une corde à la main et, après quelques mots, je présentais cette série :

•  La Corde de Ben Ali. Ce tour est décrit dans le présent ouvrage ; c'est un tour d'ouverture rapide et étonnant.

•  Le Mystère de Bombay. Une de mes créations ; c'est une prédiction à l'aide d'une ardoise double. Ce tour du genre « sérieux » était une préparation à l'effet du type « comédie » qui suit.

•  Une Comédie d'Erreurs. Un tour qui met tout le public d'excellente humeur.

•  Le Billet dans le Citron. Un tour remarquable qui « porte » et donne aux spectateurs de quoi se souvenir et discuter.

Voici également, un de mes programmes types pour le travail de près devant un petit groupe :

1 - Les Trois Cartes épelées.

•  — Le Tour du Fil à coudre.

•  — Le Sérum de la Vérité.

•  — La Pile de Pièces.

•  — La Carte dans le Ballon. 

Enfin voici un bon programme de « mentalisme » :

•  — Choix d'une Carte hors de la présence du Magicien.

•  — Les Vingt et une Cartes. Une double Prédiction.

•  — Les Figures géométriques.

•  — Au Téléphone.

•  — Les Trois Billets (N° 3).

Ici, le rideau tombe sur ma plume. Mon espoir est qu'il se lève et se relève souvent, bien souvent pour de belles séances données par mes lecteurs, si les instructions et les recommandations que je leur ai apportées ont pu avoir quelque influence sur eux.